Le ciel était d’une délicate couleur flamand rose écrasé – c’est à dire rosé avec des touches de rouges – quand il arracha son regard de la fenêtre du placard dans lequel il s’était enfermé depuis une bonne heure pour se reconcentrer sur sa tâche. Le minuscule placard poussiéreux dont la seule coquetterie était de posséder une fenêtre inutile avait trouvé un nouveau locataire en la personne d’Abdel Berry. Assis sur un seau retourné, il avait installé plumes, encre, pinceaux, papier et tout autre attirail en désordre dans le petit espace et s’appliquait à reproduire le plus fidèlement possible un carton d’invitation à une fête « Trop hype ! » selon les dires de sa cliente. Falsifier des documents était toujours un plaisir pour Abdel qui démontrait alors une patience épatante et une précision d’orfèvre. Mesurant chaque écart entre les lettres de l’invitation originale (qu’il avait subtilisé au dénommé « Mark McAlpine » selon la carte) avant de les reproduire à l’identique sur son propre morceau de carton. Il savait pertinemment qu’il était inutile d’être si méticuleux et que ce serait d’un regard brouillé par l’alcool que le videur lui ouvrirait les portes de la fête, mais il aimait le travail bien fait. Les minuscules détails que lui seul pouvait voir parce qu’il les avait fait, la foule de sorts et de vérifications techniques qu’il avait effectué avant de reproduire le carton… Personne ne les verrait jamais.

Et il se faisait payer une misère. Un ridicule gallion.

Mais Abdel ne considérait pas ce travail comme une corvée et ne le réalisait que pour s’amuser. Et si cela pouvait lui permettre de racler quelques pièces en même temps, il n’allait pas s’en priver. A seize ans, son véritable business était autrement plus florissant que ses broutilles de papier. Depuis un peu plus d’un an, il codirigeait un minuscule réseau de prostitution au sein de Poudlard, au nez et à la barbe des professeurs. Il faut dire qu’il avait eu le nez fin lorsqu’à onze ans il s’était lié d’amitié avec Jackson Powell, gamin fermé et réfléchi qui avait évolué en espèce de monstre froid et hautain. Abdel lui avait bien volontiers laissé le poste de chef de leur mini-mafia, flattant l’égo de son terrible ami et s’assurant une position un peu plus enviable en cas de problème. Mais en vérité c’était lui qui tirait les ficelles de cette organisation malsaine. Tandis que son associé se complaisait à compter et recompter l’argent amassée et à partager les gains, c’était lui qui organisait les recrutements – des prostituées comme des clients – qui maintenait le secret en exerçant différentes pressions sur les acteurs de cette vaste affaire, qui avait élaborer diverses tactiques pour camoufler leur sordide projet en inoffensif « club de bavboules » - double sens qui le faisait toujours beaucoup rire – et qui techniquement, faisait un peu tout le sale boulot.

Mais il en était parfaitement conscient, et savoir que sans lui l’affaire tombait le remplissait d’orgueil. Jackson l’avait également bien compris et récompensait grassement Abdel par des sommes indécentes de gallions, espérant ainsi empêcher son ami de réclamer son poste. Mais Berry n’avait aucune envie d’être en première ligne, la gloire lui important bien moins que le fait de se savoir en sécurité. Parce que tout trempé dans l’affaire qu’il était, il n’avait rien à craindre quant à la possible découverte du bordel par l’école. Il tenait chacune des personnes impliquées dans son filet et aucune ne pouvait le dénoncer sans s’exposer à de terribles représailles de sa part. C’était mieux qu’une menace de sortilège, mieux que d’avoir à recourir aux armes ou aux poings, mieux que tout. Il les manipulait tous dans l’ombre et si une tête devait tomber, c’était celle de Powell.

Bien sûr, il n’espérait aucun drame de la sorte et s’appliquait pour que son spectacle de marionnette se déroule sans coup de théâtre. Il avait tout planifié, tout calculé depuis le début. Il allait mener son réseau à son apogée avant de le démanteler petit à petit et le laissé s’effacer sans que personnes ne remarque quoi que ce soit. Il n’avait aucune envie de faire la une des journaux avec cette affaire – Il voyait déjà les gros titres d’ici : « Putain d’école », « Poudlard ouvre une nouvelle maison (close) », « Serpentard, Gryffondor, Serdaigle, Poufsouffle et Bordel »… - Non vraiment, ce serait un échec que de se faire prendre. D’autant plus qu’il l’adorait ce collège, lui. Il ne lui voulait aucun mal, seulement amasser le plus d’argent et se distraire un peu.

Mais depuis peu il avait un nouvel objectif qui avait germé dans son esprit un beau matin. Ou un soir, il ne savait plus, il avait passé les deux jours suivant à y penser sans relâche. Il lui fallait ferrer un gros poisson. Le clou du spectacle, le client ultime. Un professeur.

C’était de loin l’idée la plus risquée et la plus tordue qu’il ait pu avoir mais s’il ne se donnait pas de buts de la sorte il s’enfonçait dans une ennuyante torpeur. Une multitude infinie de risques et de paramètres incertains s’imposaient alors et il devait les décortiquer chacun plusieurs fois avant d’agir. C’était immensément grisant.

Il lui restait un an.